Qu’est-ce que la Théorie de l’endémo-épidémiogenèse urbaine (TEEU)
La Théorie de l’endémo-épidémiogenèse urbaine (TEEU) a été publiée à l’American Journal of Epidemology and Infectious Desease, en 2022 par le Professeur MEVA’A ABOMO Dominique (HDR) de l’Université de Douala au Cameroun. Elle est l’un des produits d’une vingtaine d’années de recherche de géographie de la santé sur les interactions Espace-Santé-Territoire en milieu tropical suivant l’approche de Gérard Salem. Elle a donc été inspirée des empiricités spatio-sanitaires dudit espace. Elle a été construite à partir des jugements de réalité (objectif), et non des jugements de valeur (subjectif) des relations Tropicalité-Santé ; des relations où s’articulent les dynamiques écologiques et sociétales (politique, économique, sociale et culturelle) en continu. En claire, la TEEU est un instrument de référence du paradigme de l’heuristique tropicale de la santé en construction à l’École Camerounaise de Géographie de la Santé. L’endogénéité de ce paradigme permet de mieux comprendre la complexité des problèmes de santé en milieu tropical et prédispose à un dénouement durable de ladite complexité.
Par ailleurs, le Principe directeur et les lois scientifiques régissant cette théorie lui confère une applicabilité dans tout type d’espace : urbain ou rural, tropical ou non tropical.
A- Eléments structurants et généralisation
– Eléments de définition
La Théorie de l’endémo-épidémiogenèse urbaine (TEEU) est une hypothèse explicative générale des processus d’émergence et de diffusion géographique des malades infectieuses en ville. D’après cette théorie, chaque ville est nantie d’un géosystème des endémo-épidémies structuré en deux hémisphères qui sont en constante défiance ou confrontation.
Il y a premièrement l’hémisphère-précurseur qui est composé de quatre systèmes :
– le système pathogène,
– le système de vulnérabilité,
– le système d’itinéraires de diffusion
– le système d’agents/mécanismes de diffusion.
Il y a deuxièmement l’hémisphère-résilient qui est également composé de quatre systèmes :
– le système préventif,
– le systèmes promotionnel de la santé,
– le systèmes curatif,
– le systèmes de surveillance épidémiologique.
L’endémo-épidémiogenèse est une réponse mathématique prévisible et prédictible des rapports de défiance ou de force spatialisés et temporalisés qui se construisent, se déconstruisent et se reconstruisent perpétuellement entre ces hémisphères à partir des Lois de la causalité identifiées dans cette étude (la Loi du contact endémo-épidémiogène, la Loi de l’invasion pathogène des espaces sains, la Loi de la mutabilité des espaces de pathogenèse et la Loi des rapports de force géosystémique). Il s’agit là de l’arrière fond principiel qui doit guider tout raisonnement ou toute philosophie d’opérationnalisation de cette théorie.
Les rapports de force géosystémiques entre les hémisphères précurseurs et résilients ne sont pas figés dans l’espace ni dans le temps. L’intensité de la confrontation dépend de l’ampleur du risque sanitaire en tant qu’articulation de l’aléa et la vulnérabilité dans le site géographique concerné (Motet, 2010), puis de l’ampleur de la réponse des systèmes résilients. Il en résulte une dynamique de multiplication ou de réduction de sites-foyers à différents seuils de détonation et à différentes temporalités. Le croisement de ces deux ampleurs permet de définir différents niveaux d’intensité des rapports de force. En guise d’illustration, les rapports de faible intensité sont enregistrés dans les sites à faible risque sanitaire. Les rapports de moyenne intensité sont observés dans les sites à moyen risque sanitaire. Les rapports à forte intensité sont enregistrés dans les sites haut risque.
Une analyse sanométrique plus pointue peut dès lors s’appuyer sur des profils d’indicateurs préalablement définis pour mesurer le niveau de risque endémo-épidémiologique (N) à un moment donné dans différents sites urbains, et mesurer aussi les niveaux de réponse des systèmes résilients (N’) dans ces sites au même moment. Chaque site sera caractérisé par un couple de coordonnées de niveaux d’ampleurs (Nrisque ; N’réponse). Il s’agit là aussi des coordonnées de l’intensité des rapports de force analysés ; des valeurs permettant, entre autres, de déterminer et d’interpréter le résultat ou la nature des rapports de force entre les hémisphères précurseurs et résilients. Ce résultat peut être en faveur des systèmes précurseurs et augurer la poursuite de l’endémo-épidémisation. Il peut également être en faveur des systèmes résilients et augurer la régression, puis la neutralisation de la propagation de la maladie infectieuse. Le croisement de ces deux mesures dans ces sites permet d’établir une courbe de variation de l’intensité des rapports de forces, d’interpréter la nature desdits rapports (favorables ou défavorables), de statuer sur l’efficacité de la résilience et de prédire le phénomène.
Par ailleurs, une configuration spatiale des rapports de forces peut être établie. Elle évolue dans le temps en fonction des mutations que connait chaque hémisphère et imputables à la confrontation entre les hémisphères précurseurs et résilients. Le fonctionnement des différents hémisphères et les interactions entre ceux-ci sont donc processuels. Une séquencialisation chronologique de cette processualité aboutit à la définition d’une série de temporalités de l’endémo-épidmiologenèse. A chaque temporalité correspond une configuration géographique spécifique des rapports de force inter-hémisphérique et du fait endémo-épidémiologique dans sa globalité. Une série de configurations géographiques associée à la série de temporalités peut dès lors être établie. Autrement dit, il existe une corrélation entre « configuration spatiale » et « temporalité » qui rend compte de la prévisibilité et la prédictibilité de l’endémo-épidémiogenèse.
La ville fait l’objet d’un maillage spatial de l’endémo-épidémiogenèse (ou d’un maillage spatial de rapports de force entre les hémisphères précurseurs et résilients) à chaque temporalité. La conversion de ce maillage en trame s’opère lorsqu’il y a fusion d’une infinité de pôles de rapport de force et la ville devient une trame spatiale d’endémo-épidémiogenèse. Cette réalité en situation de mono-pathologie se complexifie en situation de poly-pathologie marquée par l’occurrence simultanée de plusieurs maladies infectieuses.
Dans ce cas de figure, la ville présente deux profils de sites à risque : les sites mono-focaux de germes où se développe un seul type de rapports de forces et les sites multifocaux de germes objets de plusieurs types de rapports de forces associés aux différentes maladies infectieuses qui sévissent. Dans cette situation de poly-pathologie, la ville fait l’objet de la superposition deux types de maillages spatiaux à chaque temporalité. Il y a le maillage spatial monoplexe propre à chaque pathologie et le maillage spatial multiplexe qui résulte du croisement de toutes les maladies infectieuses qui sévissent dans le site à une temporalité précise. Ce dernier maillage spatial est duplexe, triplexe, quadruplexe, quintuplexe, etc., lorsqu’il s’agit de deux, trois, quatre, cinq, etc. pathologies respectivement. En cas de fusion de l’infinitude de pôles détonateurs, et donc, de rapports de force inhérents, il y a conversion de ces maillages en trames spatiales duplexe, triplexe, quadruplexe, quintuplexe, etc., lorsqu’il s’agit de deux, trois, quatre, cinq, etc. maladies respectivement.
Les deux hémisphères en confrontation qui structurent la TEEU se consolident aussi en milieu rural où prédomine le système traditionnel de santé en milieu tropical. Ils sont également identifiables dans les espaces non tropicaux. Les processus d’émergence et de diffusion géographique des malades infectieuses en rural tropical ainsi que dans les espaces non tropicaux résultent également des rapports de force ou de cette confrontation entre les hémisphères précurseurs et résilients. Ils sont régis par les mêmes lois scientifiques. En clair, la Théorie s’applique dans tous le milieu tropical (urbain et rural) ainsi que dans les milieux non tropicaux. La TEEU érige cependant la ville, de par ses caractéristiques, en un véritable ordre socio-spatial d’endémo-épidémiogenèse hétérogène, évolutif et complexe, contrairement à la campagne qui est un ordre socio-spatial d’endémo-épidémiogenèse relativement homogène, figé et simplexe.
B- Les Lois scientifiques de l’endémo-épidémiogenèse
Les Lois scientifiques de l’endémo-épidémiogenèse ont été publiées en 2022 à l’American Journal of Epidemology and Infectiouse Desease par le Professeur MEVA’A ABOMO Dominique (HDR), Université de Douala – Cameroun. En principe, la mobilité géographique des germes, ou plus globalement, la dynamique socio-spatiale des agents pathogènes dans le géosystème d’endémo-épidémiogenèse est régie par le principe de causalité. La standardisation des relations de cause à effet matérialisant ce principe a permis au Professeur MEVA’A ABOMO Dominique (HDR) de reconstituer quatre Lois scientifiques régulant le fonctionnement du géosystème.
– La Loi du contact endémo-épidémiogène
La Loi du contact endémo-épidémiogène systématise la relation de cause à effet entre « le contact germe-sujet sain » et « l’émergence de la maladie infectieuse associée ce germe ». Elle établit et standardise un lien causal de la conversion du pathogène en pathologie. Cette Loi stipule que : « Tout contact physique entre un agent pathogène et un sujet sain est endémo-épidémiogène » ; car, ce contact introduit chez ce sujet sain un germe infectieux qui connait généralement une invasion dans l’organisme de celui-ci. Cette invasion s’accompagne de la libération d’infectes ou de toxines nocives à l’organisme humain. L’organisme se trouve attaqué et le système immunitaire du sujet finit par entrer en jeu. Un ensemble d’interactions se développe entre cette infection des agents pathogènes et la résistivité du système immunitaire naturel sur fond de rapport de force.
Rendu à ce stade, deux cas de figure se présentent. Dans le premier, le système immunitaire est plus fort. L’infection est aussitôt neutralisée naturellement et le sujet ne connait pas la maladie. Il n’y a pas eu conversion du pathogène en pathologie. Le sujet est cependant un porteur sain. Il est un réservoir de germes, et donc, un foyer détonateur de la maladie infectieuse et de sa diffusion. Ce contact physique à la base de ce processus se révèle endémo-épidémiogène. Dans le second cas de figure, le système immunitaire est plus faible. L’infection n’est pas naturellement neutralisée. Elle s’intensifie en provoquant la maladie chez le sujet infecté qui est aussi un réservoir de germes. Il y a eu conversion du pathogène en pathologie. Le contact physique de départ est aussi endémo-épidémiogène dans ce second cas de figure. En définitive, s’il y a émergence de maladie infectieuse dans une communauté, alors, d’après cette loi scientifique, il y a eu un contact entre un sujet sain et un agent pathogène à l’origine de ladite maladie infectieuse.
L’espace urbain qui est un lieu d’agglomération, de brassage et de promiscuité, se révèle très favorable à la démultiplication des contacts endémo-épidémiogènes. Cette Loi scientifique explique les fortes prévalences bactériennes, parasitaires, virales, mycosiques ou fongiques en milieu urbain. Elle s’applique aussi en milieu rural, car, tout contact physique entre un agent pathogène et un sujet sain en campagne est infectieux, et donc, endémo-épidémiogène.
– La Loi de l’invasion pathogène des espaces sains
L’endémo-épidémisation désigne la propagation géographique des maladies infectieuses. Cette mobilité concerne, en principe, les agents pathogènes qui en sont à l’origine. Il s’agit donc de la diffusion du système pathogène d’un espace à un autre. Cette diffusion est régit par la Loi de l’invasion des espaces sains qui standardise les relations de cause à effet entre la mobilité géographique du système pathogène et la contamination des espaces sains. D’après cette Loi, « le système pathogène se déplace géographiquement des espaces infestés vers les espaces sains ; car, ces derniers offrent toujours des conditions de vie favorables et exercent une attraction sur ledit système ». Cette attractivité s’observe au niveau des êtres vivants e tout ordre. En principe, l’instinct de survie amène les individus à fouir les zones où sévissent les maladies infectieuses vers les zones saines. Ceux-ci se déplacent avec leurs objets, équipements et matériels parfois souillés en contaminant les espaces d’accueil. L’espace infesté est dit émetteur ou diffuseur et l’espace sain est dit récepteur. Au total, s’il y a propagation géographique d’une maladie infectieuse, alors, d’après cette loi scientifique, il y a eu déplacement du système pathogène d’un espace infesté à un espace sain.
L’espace urbain qui est un lieu d’agglomération, de brassage et de promiscuité, se révèle très favorable à la contamination des espaces sains. La Loi de l’invasion pathogène des espaces sains s’applique donc parfaitement en milieu urbain. Elle se vérifie également en milieu rural, car, même en milieu rural, le système pathogène se déplace géographiquement des espaces infestés vers les espaces sains.
– La Loi de la mutabilité des espaces de pathogenèse
La Loi de la mutabilité des espaces de pathogenèse standardise la relation de cause à effet entre les dynamiques paysagères et les changements de statut, fonction et rôle des espaces à risque pathogène en milieu urbain. D’après cette Loi : « Sous l’effet d’un aléa naturel ou sociétal des dynamiques paysagères urbaines, un espace potentiellement défavorable au développement du système pathogène peut muter et devenir un espace favorable ; de même, un espace potentiellement favorable au développement du système pathogène peut muter et devenir un espace défavorable ». Le premier type de mutation est en faveur de la multiplication des foyers détonateurs, et donc, de l’endémo-épidémisation. Le second type est plutôt en faveur de la diminution desdits foyers.
Les villes sont les sièges d’un intense phénomène de changement de paysage suite à des réaménagements continuels du cadre de vie. Ce phénomène est plus globalement associé à des mutations des formes d’occupation et de mise en valeur de l’espace urbain. Il n’est pas seulement produit par l’action de l’homme, il peut aussi résulter d’un aléa naturel. Ces mutations paysagères sont également enregistrées en milieu rural. Elles sont à l’origine de l’instabilité socio-spatiale des espaces à risque pathogène ou plus précisément des niches écologiques des agents pathogènes. La Loi de la mutabilité des espaces de pathogenèse permet ainsi d’expliquer le phénomène de double mutation d’un espace potentiellement défavorable au développement du système pathogène en un espace favorable, vis-versa.
– La Loi des rapports de force géosystémique
Le fonctionnement du géosystème urbain de l’endémo-épidémiogenèse est marqué par des confrontations permanentes entre les systèmes précurseurs et résilients qui le composent. La détonation et la diffusion géographie d’une maladie infectieuse résulte de la nature de ces relations de défiance complexes. La Loi des rapports de force géosysémiques standardise les relations de cause à effet entre cette confrontation et l’émergence proprement dite de la maladie infectieuse. D’après cette Loi, « Toute situation de risque endémo-épidémiologique en ville génère un ensemble de rapports de force entre les systèmes précurseurs et résilients du géosystème urbain des maladies infectieuses. Si ces rapports sont en faveur des systèmes-précurseurs, l’endémo-épidémiogenèse et l’endémo-épidémisation sont enregistrées. Si ces rapports sont en faveur des systèmes-résilients, il y a neutralisation de la chaine endémo-épidémiologiques et de la maladie infectieuse ».
Comme il a été dit plus haut, les deux hémisphères en confrontation qui structurent la TEEU se consolident aussi en milieu rural et sont également identifiables dans les espaces non tropicaux. Les confrontations s’opèrent permanemment dans tous ces milieux. La Loi des rapports de force géosysémiques permet donc d’expliquer également les processus d’émergence et de diffusion géographique des malades infectieuses en rural tropical ainsi que dans les espaces non tropicaux.
C- Que retenir ?
Les quatre lois scientifiques reconstituées à savoir, la Loi du contact endémo-épidémiogène, la Loi de l’invasion pathogène des espaces sains, la Loi de la mutabilité des espaces de pathogenèse et la Loi des rapports de force géosysémiques permettent de mieux comprendre le fonctionnement du géosystème des maladies infectieuses régit par le principe de la causalité en milieu urbain et rural des espaces tropicaux et non tropicaux. Elles rendent déductibles certains effets connaissant les causes. Elles permettent l’abduction de certaines causes à partir des effets observés. Elles permettent d’établir les liens entre les causes connues et les effets enregistrés en rendant ainsi possible la généralisation par induction. En plus d’une meilleure compréhension du géosystème des maladies infectieuses, les capacités de déduction, d’abduction et d’induction de ces trois lois rendent compte de leur aptitude à la prédiction et à la prévision du fonctionnement dudit géosystème.
Toutes ces caractéristiques font de ces quatre lois une Théorie scientifique. Car, d’après Parsons (1964), une Théorie scientifique est un système de lois régissant le fonctionnement d’un fait ou d’un phénomène scientifique se fondant sur le principe de causalité. Il s’agit précisément de la Théorie de l’endémo-épidémiogenèse urbaine qui s’appuie sur les relations de cause à effet standardisées en lois scientifiques pour forger un corpus explicatif ou une hypothèse explicative générale au sens de Vorms (2013) sur les processus d’émergence et de diffusion géographique des maladies infectieuses dans le cadre de vie.
En corollaire, La Théorie de l’endémo-épidémiogenèse urbaine (TEEU) est un outil de référence du paradigme de l’heuristique tropicale de la santé. Elle contribue de manière significative à une meilleure maîtrise de la genèse et la propagation des endémo-épidémies, de leur prévisibilité et leur prédictibilité. Ces caractéristiques étaient jusqu’ici hypothéquées par la complexité des questions de santé publique d’une part, puis par l’insuffisance des outils appropriés à cet effet d’autre part. En plus d’être une hypothèse explicative générale, cette théorie est un outil d’observation, de diagnostic et d’analyse du fait endémo-épidémiologique et de ses dynamiques socio-spatiales en de santé globale. Car, bien que conçus à partir des expériences tropicales, le Principe directeur et les lois scientifiques régissant cette théorie lui confère une applicabilité mondiale ou dans tout type d’espace : urbain ou rural, tropical ou non tropical. De par son aptitude à la prévision et à la prédiction, cet outil se décline en un instrument de planification et de prise de décision géostratégique en matière de lutte contre les maladies infectieuses.
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